
Monsieur mon frère détestait le hareng saur. Il est vrai que notre mère connaissait sans doute le chemin de la cuisine, la place des ustensiles, mais ignorait l'alchimie culinaire.
De temps à autre nous avions droit au hareng saur sorti directement du grand tonneau rempli de saumure et atterri dans notre assiette sans passer par la case accommodement. La faim et le spectacle de la dissidence fraternelle me conduisaient à mâcher, mâcher, mâcher l'horrible pitance. Surtout la comédie jouée par mon frère me divertissait et me distrayait de la chose sortie de la mer, mais non pas de sa salinité intense.
Le frère avait repoussé son assiette, croisé ses bras sur le rebord de la table et posé sa tête sur cet oreiller d'écolier cancre au fond de la classe, près du poêle. Moi, je gloussais de lui voir une paupière s'ouvrir de temps en temps et un oeil rieur me regarder. Comedia dell'arte ! aurait dit mon père, s'il avait assisté à la scène. Et ma mère ? Elle ne prenait jamais ses repas avec nous. Elle était officiellement au régime pour mieux se jeter sur nos restes, une fois que nous aurions quitté à nouveau la maison ou rejoint nos chambres pour la nuit. Mon père se gaussait de cette rengaine, car d'amaigrissement, point ne venait.
Grippeminaud, devait avoir un rendez-vous urgent, car il dévora son hareng sans barguigner. Il disparut par la croisée sans merci ni au revoir. Pour le coup mon frère n'avait plus besoin d'alibi.
Notre mère entra peu de temps après le départ du chat et complimenta mon frère. Je ne mouchardais pas, trop contente qu'un matou nous eu vengé d'un plat aussi abominable.